Teofilo Chantre
Un swing solaire
A découvrir
On a souvent pu lire, à propos de Teofilo Chantre, qu’il était « apparu dans l’ombre de Cesaria Evora » avant de s’imposer avec ses propres disques. L’expression mérite d’être corrigée. Car, s’agissant d’un art aussi lumineux que celui de la grande dame du Cap-Vert, on a du mal à imaginer qu’il puisse répandre autre chose que de la lumière. D’autant que le nom de Teofilo Chantre fut très vite repéré par les amateurs sur les disques de Cesaria, de « Miss Perfumado » où il signait déjà trois titres, à « São Vicente di longe », où il lui offrit pas moins de cinq chansons. Teofilo signa aussi pour elle le texte d’Ausencia, sur une musique de Goran Bregovic pour la B.O. du film Underground d’Emir Kusturica.
Depuis 1993, six albums sous son nom) lui ont valu une notoriété grandissante. C’est qu’il y a un « style » Teofilo, que la seule « authenticité » capverdienne ne suffit pas à résumer. Teofilo Chantre, en effet, vit en France depuis plus de vingt-cinq ans et la diversité de ses goûts musicaux — de la Bossa Nova aux boléros classiques des caraïbes hispanophones — lui ont forgé une écoute et un cœur ouverts aux plus vastes horizons. Toutes ses influences ont merveilleusement décanté dans une écriture où l’évidence mélodique (ses refrains paraissent souvent immédiatement familiers) ne le cède en rien à une très grande sophistication harmonique : soudain, telle modulation, tel passage dans une tonalité éloignée, créent d’heureuses surprises. Et si la « sodade » — cette mélancolie insulaire propre au Cap-Vert — baigne la plupart de ses compositions, le swing élégant de ses coladeras rappelle que la danse reste l’un des meilleurs antidotes au vague-à-l’âme.
En 2004, l’album « Azulando » — qu’on pourrait traduire par « bleuïssant » — décline aujourd’hui une riche palette de nuances, de l’indigo à l’outremer. « Pour moi, le bleu est intimement lié à la sodade, explique Teofilo. Mais ce n’est pas vraiment un « concept » ou quelque chose comme ça. Certaines chansons de ce disque ont été écrites il y a quinze ans ; je me contente de suivre mon chemin ». Fidèle à l’équipe musicale qui le suit depuis plusieurs années au disque comme à la scène (Jacky Fourniret, accordéon ; Fabrice Thompson, batterie et percussions ; Sébastien Gastine, contrebasse et basse électrique ; Kim Dan Le Oc Mach, violon), Teofilo Chantre est également accompagné de nombreux invités, dont Cesaria Evora (présente sur Mãe pa fidje) et Bonga, la grande voix angolaise (Canta Cabo Verde). Au détour d’un titre — Des Bleuets dans les blés, cosigné par Marc Estève, le complice d’Art Mengo — Teofilo prouve sans effort que la langue de Molière s’adapte parfaitement à sa voix de brume marine… Les textes témoignent comme toujours d’une attention aux humbles et aux déclassés, privilégiant une tendresse feutrée aux manifestes bruyants. Certains sont signés Vitorino Chantre, père du chanteur : « Il m’a toujours encouragé, précise-t-il ; c’était une forme d’hommage de lui demander des textes. »
En 2007, paraît l’album « Viaja ». On y découvre un timbre chaleureux, un jeu de guitare fluide, des compositions intimistes. La manière de faire brésilienne déjà présente dans ses précédents albums, se retrouve souvent dans « Viajà », comme si Teofilo inventait la bossa nova capverdienne, un léger jazz créole. Il suffit d’écouter son sublime duo Segunda Geração avec sa compatriote Mayra Andrade, elle aussi amoureuse de la mélodie brésilienne. D’autres chansons, la tendre et désabusée Chelicha (caprice), la fraternelle Appel pa tude Naçon (appel à toutes les nations), le regret Tchoro di Guiné (la complainte de la Guinée), le départ et la méditation avec Bô Viaja (ton voyage) ou l’amour déçu de Dérobade sont co-signés avec Vitorino Chantre.
« Viajà » a été enregistré en partie à Mindelo avec la complicité du grand Bau, l’un des meilleurs musiciens du Cap-Vert, et de Hernani Almeida, le jeune guitariste qui monte. Une première pour Teofilo Chantre qui a chanté dans une ambiance particulière :« Nous prenions notre temps. Manger dans la convivialité avant d’enregistrer. C’était parfois magique, à l’exemple de la voix que j’ai sur le morceau Bô Viaja et que j’ai gardée. Je ne pourrai jamais la refaire à Paris ».
Teofilo Chantre parvient à donner une forme musicale à la célèbre formule du grand Miguel Torga : « L’universel, c’est le local moins les murs »•