Nancy Vieira est née en 1975 à Bissau, où ses parents avaient rejoint le leader de l’indépendance du Cap-Vert et de Guinée Bissau, Amilcar Cabral, assassiné en 1973, avant que la Révolution des Œillets d’avril 1974 au Portugal n’en finisse avec le temps des colonies. Le Cap-Vert gagne son indépendance en 1975. Quatre mois après la naissance de Nancy, la famille Vieira rejoint Praia, la nouvelle capitale du Cap-Vert, sur l’île de Santiago, l’une des dix que compte l’archipel. Cette enfant de la liberté va construire une forte identité au fil d’une épopée politique et artistique : son père, musicien amateur, guitariste et violoniste, est tout d’abord ministre des transports et des communications du nouveau gouvernement. Dix ans plus tard, il revient à Mindelo, port actif et métropole de l’île de São Vicente. Il y occupe un poste qui s’apparente à celui de gouverneur des îles du Barlavento (les îles au vent, celles du nord).
Nancy a quatorze ans lorsqu’il est nommé ambassadeur du Cap-Vert au Portugal « ce qui englobait la représentation en France, il est allé montrer ses lettres de créance au Président François Mitterrand », dit la jeune femme qui vit depuis à Lisbonne. Elle étudie à l’université de Lisbonne, la gestion et la sociologie. Un soir, elle accompagne un ami qui participe à un concours de chanson, elle fredonne, on lui demande de chanter, elle interprète Lua Nha Testemunha, de B.Leza, et elle gagne. Le prix, c’est l’enregistrement d’un album chez Disco Norte, un label disparu depuis. Il s’appelle Nos Raça (1996). Nouvellement mère (d’une fille), Nancy fait ensuite une pause, le deuxième paraît huit ans plus tard, titré Segred (2004). Elle devient professionnelle à la publication de Lus, en 2007, puis publie sous la direction du pianiste Nando Andrade en 2011, No Amá, l’album qui la révèle au public international, et grâce auquel elle conquiert les publics mélomanes orphelins de Cesaria Evora, de Pologne en Grèce, des Pays Baltes en Italie, de Hollande à la Russie.
Le lycée de São Vicente fut, du temps de la colonisation portugaise, un creuset intellectuel, que fréquenta Amilcar Cabral, poète, auteur de quelques mornas et homme politique de premier rang. Nancy Vieira y fut élève, et ingurgita les sons que le port de Mindelo distillait : Maria Bethania, Caetano Veloso, Angela Maria (des Brésiliens), du fado, des mornas, des coladeras, de la pop anglaise, de la rumba cubaine, etc. Mindelo, c’est la terre mère de ces mélanges, et celle de Cesaria Evora (1941-2011). Herculano Vieira, le père de Nancy, avait été commandant dans la marine marchande, il avait joué avec Cesaria dans sa jeunesse, « avant la lutte », dit Nancy. « J’ai découvert cela en juin 2011, quand j’enregistrais mon album à Mindelo. C’était la première fois que j’allais voir Cesaria chez elle et elle m’a dit : comment va Herculano ? J’étais émue, il ne m’avait jamais rien dit ». On peut difficilement parler de filiation avec Cesaria Evora, mais plutôt de concordance de répertoire, et de rencontres musicales. L’interprétation diffère, droite, limpide, la voix de Nancy Vieira s’écarte de la chaleur moite de celle de la « Diva aux pieds nus ». La personnalité, les origines sociales, le chemin de vie, ont peu en commun. Ce qui les relie, ce sont ces affinités secrètes des Cap-Verdiens avec leur musique, frontière de l’Occident et de l’Afrique, musique de voyages transocéaniques et de créolité.